BRESIL 2014

Chroniques

Pour faire du football un levier social et culturel

Pékin en 2008, Sotchi en février dernier et maintenant la Coupe du Monde au Brésil. Beaucoup des grands événements sportifs qui jalonnent nos vies de manière régulière sont sujets à polémiques. Alors, doit-on culpabiliser pour autant de regarder le Mondial brésilien ?

paulo-ito.min.jpg Photo Flickr/CC/Paulo Ito https://www.flickr.com/photos/pauloito/13998946669

Le 13 mai dernier, l'artiste brésilien Paulo Ito publie sur sa page Facebook sa dernière création, un graffiti qu'il a réalisé à l’entrée d’une école de Pompeia, un quartier des classes moyennes de la ville de São Paulo. Cette œuvre va très vite faire le buzz en se propageant de manière très rapide sur les réseaux sociaux et en devenant pour beaucoup le symbole de la lutte contre la Coupe du Monde 2014 qui se tiendra au Brésil. Pour cause, la création de Paulo Ito représente un enfant affamé, assis à une table, couverts en main et en larme car dans son assiette il ne trouve qu'un ballon de foot en guise de repas.« Je ne voulais pas dire que rien n'est fait pour combattre la pauvreté, mais nous avons besoin de montrer au monde que la situation n'est toujours pas résolue, » explique Paulo Ito dans une récente interview à Slate. Ainsi cette œuvre, au delà de dénoncer, de toucher et de rassembler un grand nombre de personne, doit nous inviter à réfléchir sur la place du sport dans le contexte socio-économique d'un pays et aussi nous interroger sur notre propre responsabilité en tant que spectateur.

« S'ils peuvent attendre un mois...»

« Le sport amuse les masses, leur bouffe l'esprit et les abêtit, » écrit le grand auteur autrichien, Thomas Bernhard dans son livre L'origine (1975). C'est en résumé la critique qui est faite à ceux qui vont s’intéresser au Mondial brésilien. Pourtant, doit-on réduire les amateurs de sports aux clichés véhiculés par certains médias, doit-on faire l'amalgame entre l'essence du sport et les nuées néfastes qui gravitent autours ?. « S’ils peuvent attendre un mois avant de faire des éclats un peu sociaux, bah ce serait bien pour le Brésil et puis pour la planète football, quoi, » ces récentes déclarations de Michel Platini, président de l'UEFA, à propos des dernières manifestations au Brésil n'engagent que lui. Le sport ne peut être enfermé dans une boîte hermétique au contexte et à la passion qu'il suscite. Le sport dans ce qu'il a de plus noble est au contraire une éponge perméable aux revendications, qui absorbe et intègre les contradictions qu'il véhicule. En clair, demander à un pays, à un peuple, d'oublier son quotidien, d'oublier ses souffrances et ses aspirations n'est pas possible mais pas non plus acceptable. Certes le Brésil est le pays du football, certes la passion et la ferveur que cette belle compétition suscite sont tout à fait remarquables. Pourtant, ne pas fermer les yeux sur l'envers du décors, ne pas étouffer les revendications du peuple brésilien semble tout aussi indispensable.

Faire changer durablement les choses

Comment se comporter face à ce paradoxe ? Comme aimer le football, comment apprécier cette Coupe du Monde dans toute sa complexité ? Peut être qu'en réponse à Thomas Bernhard, cité plus haut, nous pourrions partir du postulat d'Aimé Jacquet : « Donner, recevoir, partager : ces vertus fondamentales du sportif sont de toutes les modes, de toutes les époques. Elles sont le sport.» Envisager le sport dans son aspect social, dans son rôle éminemment politique et rassembleur est peut-être la meilleure manière de lire et de comprendre ce Mondial. La citation d'Aimé Jacquet insiste bien sur les valeurs du sport, au delà des résultats, au delà du business qui l'accompagne. Cette Coupe du Monde est un fabuleux projecteur sur les revendications que le peuple brésilien ne cesse de clamer. Profiter de cet événement pour élargir son esprit aux problèmes des autres et pour entendre cette voix, de colère et d'envie, qui trop souvent ne porte pas jusqu'à nous, c'est aussi ça le sport. Faire de l'éphémère d'une compétition une envie de changer durablement les choses, c'est aussi ça le football.